Future of Work

Valeurs, vous avez dit Valeurs…?

Pierre Vannier
5 min readFeb 8, 2021

La crise du COVID rebat les cartes des organisations, des entreprises et du sens même du travail. Après la période de stupéfaction des premiers confinements, on le voit, beaucoup d’entreprises ont pu s’adapter — tant bien que mal — au télétravail. S’il a pu être mis en place sans trop de dégâts apparents pour beaucoup d’entreprises, le télétravail (ou plutôt travail confiné) est un catalyseur de transformations organisationnelles et de modes de communication. Dans cet article j’aimerais m’arrêter sur la notion de valeurs et de sens dans les organisations.

Parallèlement à des considérations environnementales, les entreprises se sont lancées depuis quelques années dans la communication externe de leurs valeurs.

Ce phénomène semble s’être accéléré depuis quelques mois au point que les entreprises ne mettant pas en avant leurs valeurs se retrouveraient de fait, suspectes ou reléguées dans l’ancien monde.

Les valeurs, purpose en anglais, servent plusieurs actions des entreprises.

Premièrement, elle permettent d’encadrer les pratiques quotidiennes et les processus des organisations.

Elles servent de garde-fous en limitant les pratiques à des actions alignées avec elles. Les valeurs opérant comme une dérive sur laquelle s’appuyer pour garder le cap. Sans elles, mais aussi sans mission et vision, l’entreprise serait ballotée sans point de fuite identifiable par les collaborateurs. Comme un crédo ou une devise, les valeurs enracinent le pacte social et unifient la dynamique commune de création de valeurs. Elles redonnent une idée de sens dans le travail. **

Les valeurs orientent et guident les processus RH en ce sens qu’elles définissent un sous ensemble de soft-skills (capacités interpersonnelles, personnalités, corpus de valeurs) nécessaire et suffisant pour identifier les futurs collaborateurs lors des étapes de recrutement.

On recrute pour les compétences et l’expérience mais aussi, et de plus en plus, pour les soft-skills et l’alignement des candidats avec les valeurs de l’entreprise. On licencie également pour les valeurs, lorsque les collaborateurs ne sont plus alignés ou agissent à leur encontre.

Enfin, et c’est la partie souvent émergée de l’iceberg, les valeurs constituent un vecteur de communication externe indispensable pour les entreprises. On les affiche, on les brandit, à l’instar d’un sticker “Appellation d’Origine Contrôlée” apposé sur l’entreprise.

On le voit bien, les valeurs représentent un élément important du fonctionnement et de la stratégie d’entreprise de ce début de 21ème siècle.

Cependant, certaines entreprises se retrouvent régulièrement piégées et accusées de ne pas respecter leurs valeurs. Leurs détracteurs : d’anciens collaborateurs, des collaborateurs en poste, témoignant anonymement, les accusent de ne faire que se servir des valeurs de l’entreprise au détriment de leur respect, en interne. Pour le monde extérieur tout est propre, en interne ce n’est pas le cas.

L’image de l’entreprise (la marque employeur) ainsi que son attractivité dans la bataille pour les talents se voient ainsi dégradées par ce fossé (ou gouffre) entre le paraître et l’être.

C’est ce qu’on appelle le purpose washing : brandir du sens en communication externe alors que les process, le fonctionnement et la vision de l’entreprise font montre de dysfonctionnements en décalage, ou opposition parfois, avec les valeurs énoncées.

Ce phénomène assez récent, est amplifié depuis peu par la démocratisation des réseaux sociaux et d’influence. On peut aujourd’hui tout dire sur tout, et par conséquent clouer au pilori les entreprises en “faute” ; attrapées pour non respect de leurs valeurs. Les internautes se transformant en inquisiteurs et juges de l’orthodoxie et la franchise des entreprises.

L’autre ingrédient générant ce fossé, plus ou moins béant, entre les valeurs arborées par les entreprises et la réalité, réside dans la montée en puissance des modèles de croissance exponentielle des startups. Ces dernières prenant de plus en plus de place dans le paysage économique. L’hyper-croissance (c’est le terme officiel), au delà du vocable à la mode, est dans les faits le recrutement en masse de collaborateurs sur une courte période. C’est l’appel d’air indispensable pour atteindre la croissance économique voulue.

Là ou des modèles de croissance traditionnels **impliquaient autrefois des recrutements au fil de l’eau, et au besoin, les startups choisissant le chemin de l’hyper-croissance se voient contraintes d’intégrer massivement et rapidement de nouveaux collaborateurs.

Ces intégrations sont une des raisons principales de tensions managériales, organisationnelles et humaines au sein des entreprises. De ces tensions et de ce rythme à grande vitesse naissent parfois des indigestions et écarts avec les valeurs de l’entreprise, qui, petit à petit, se retrouve très éloignée de celles prônées.

Un nombre significatif d’entreprises se vantent de vouloir mettre plus ou moins d’humain dans leur modèle d’organisation. Ceci redonne du sens et participe de l’attractivité de l’entreprise pour les talents, notamment les générations Z, dont on sait maintenant qu’elles sont souvent d’avantage en quête de sens que les précédentes.

La modernité, de façade souvent, de cette dialectique est censée aller de paire avec les enjeux de qualité de vie au travail (QVT), de responsabilisation des collaborateurs, de démarches RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) des entreprises.

On ne peut cependant que constater que les bonnes intentions et les discours sont plus faciles à énoncer que les habitudes issues du passé et de siècles d’organisation du travail, à s’émanciper. Le présentéisme — les horaires pour les horaires — encore si tenace, le micro-management (expérimenté par tous) ou les hierarchies rigides ne sont que quelques exemples parmi les reliquats en contradiction avec l’édification d’un modèle d’entreprise ou les valeurs seraient plus centrales.

Il n’existe à ma connaissance aucun framework, aucune méthode ou recette permettant aux entreprises de conserver une adéquation entre leurs valeurs et la réalité de leur management, de leur direction générale ou plus généralement de leurs agissements.

J’ai la conviction, qu’il existe cependant une voie pour allier développement (durable) des entreprises et respect d’un corpus de valeurs ou le bien-être des collaborateurs seraient un point central de même que les considérations environnementales.

Mon intuition est que nous sommes dans une période de transition pour les organisations, dans les entreprises ; comme si les modèles établis éclataient un à un (d’autant plus avec la précipitation issue de la nouvelle donne post-pandémie) dans un monde nouveau ou tout serait à réinventer. En tout état de cause, les valeurs sont un outils de pilotage de même qu’un modèle de gouvernance d’entreprise, puissant, à n’utiliser qu’avec discernement sous peine d’être une arme qui se retournerait contre l’entreprise et ses intérêts.

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